
Apprendre et retenir, et si c’était une question de molécule ?
Je vitupère assez souvent contre les consultants qui s’appuient sur des données scientifiques en les interprétant d’une façon indue pour ne pas m’appliquer à moi-même cette réserve. Donc, précaution oratoire, les faits cités sont réels, en revanche mes pistes d’interrogations et mes hypothèses ne sont que pures spéculations de ma part, aucunement validées par la science, en l’état actuel de la recherche.
Le rôle de la mémoire dans l’efficacité des méthodes pédagogiques…
Il est devenu normal grâce aux neurosciences de tenir compte, lors de l’élaboration de parcours de formation des éléments qui vont favoriser les chances de succès de l’inscription durable dans la mémoire des choses apprises. Le rôle de l’émotion dans l’apprentissage, de la répétition, du sens, et plus prosaïquement de la qualité du sommeil est aujourd’hui accepté comme facteur clé de succès par l’ensemble de l’écosystème pédagogique. De puis la fin des années 40 les scientifiques nous disaient que la mémoire était stockée au travers d’un réseau neuronal via les synapses.
Très honnêtement, j’en étais resté là. J’imaginais que le parcours neuronal de l’apprentissage allait se préciser chaque jour d’avantage, que des découvertes nouvelles allaient nous donner des outils supplémentaires pour affiner nos programmes. Et des découvertes, il y en a eu ces dernières années plus qu’il n’en faut, depuis les neurones miroirs jusqu’aux apports du Professeur Pierre Marie Lledo, de l’Institut Pasteur sur les structures de construction de la mémoire. ( https://research.pasteur.fr/fr/department/neuroscience/) , l’épigénétique semble vouloir devenir la nouvelle donne. Les souvenirs possèdent une matérialité biochimique qui va influencer la construction génétique et donc la transmission.
Aujourd’hui, une piste « moléculaire » voit le jour…
Il y a quelques années, j’avais entendu dire qu’il « était possible » que la mémoire puisse se transmettre d’une génération à l’autre. Une expérience avait été faite auprès de populations africaines d’une région qui avait échappé il y a des centaines d’années à la capture esclavagiste. Comment était-il possible que des cauchemars viennent encore aujourd’hui perturber leur sommeil avec cette peur d’être capturé ? Ces souvenirs s’étaient-ils transmis par les gènes ? Et les cas de personnes dites possédées qui se mettent à parler des langues qu'elles n'ont jamais apprise, ne serait ce pas une transmission générationnelle ? Et ces personnes déclarant avoir des souvenirs d'une vie antérieure ? des illuminés ou des victimes de chromosomes ?
Au début des années 80, Francis Crick, prix Nobel, l’un des deux découvreurs de l’ADN, passait pour un farfelu lorsqu’il disait : « il se pourrait que la mémoire soit codée par des modifications de l’ADN des chromosomes ». Et Johannes Gräff, neuroscientifique à l’Université de Lausanne de déclarer que seules des modifications chimiques de l’ADN possèdent des propriétés qui peuvent rendre compte de la précision moléculaire nécessaire pour stocker la mémoire à long terme. Pour lui, aucun doute : la mémoire est un code épigénétique. C’en est terminé du dogme du réseau neuronal.
La comparaison est possible entre mémoire et ordinateur. C’est un peu comme si notre mémoire était un disque dur externe ; mais on a besoin du câble vers ce disque pour enregistrer ou pour rappeler les souvenirs et ça c’est le rôle des neurones. De plus les scientifiques font remarquer que ce n’est pas une spécificité humaine, les végétaux agissent de la sorte, les bactéries aussi.
Ce n’est pas mon propos d’aller plus avant dans les apports de ces découvertes et le traitement de certaines maladies (Alzheimer) ou de certains souvenirs traumatiques. Mais de revenir à notre propos de départ et de spéculer librement sur l’évolution de la « formation » et de l’apprentissage à partir de ces constats…
La molécule du souvenir et … l’homme augmenté ?
Certaines molécules peuvent améliorer les performances cognitives. David Sweatt, neurobiologiste, constate que le rat ayant reçu une injection de trichostatine juste avant une session d’apprentissage se souvient mieux et plus longtemps. Dès lors, et c’est là le début de mon élucubration, pourquoi ne pas imaginer pouvoir « doper » la mémoire, mais aussi « injecter » des souvenirs externes.
Imaginez-vous, non plus entrer à l’université, mais dans des boutiques biogénétiques, choisir l’injection « ingénieur télécom » ou « technicien informatique » ou encore « DRH »… et intégrer en quelques piqures les connaissances nécessaires éventuellement « formatées » par le « don » de molécules prises chez de grands professionnels ?
Les partisans de l’homme augmenté (dont je ne suis pas) sont, dès lors, dépassés avec leurs exosquelettes et leurs IA neuronales… une petite molécule, juste une petite molécule issue de manipulation génétique….
Comme à l’habitude, la science nous propose le pire et le meilleur. Soigner, en réinjectant éventuellement des souvenirs disparus ou en optimisant le stockage, et le pire… qui demande une présence confirmée d’une éthique scientifique qui puisse éviter de jouer aux apprentis sorciers.
Maintenant si nous avions bien compris que la performance de la mémoire était liée à notre qualité de vie, en particulier du sommeil, le lien de notre « molécule du souvenir » avec la flore intestinale fait également partie des recherches aujourd’hui et donc l’influence de notre alimentation sera certainement elle aussi questionnée.