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Lorsque le jeu tue le plaisir

(Ou de la tyrannie de la gamification)

 

Une de mes relations proches me remonte la semaine dernière, le processus d’un cours dans une université de la région parisienne (niveau Master 2) dans une filière RH mais en formation continue, donc avec des étudiants adultes en reconversion pour la plupart, et qui utilise en méthode pédagogique les jeux, les mimes, et autres billevesées… La réaction est quasi immédiate : quand est-ce que l’on commence à travailler ?  Réponse, « mais c’est comme ça qu’on apprend le mieux » …

Une mode qui repose sur les malentendus 

Il est désormais « prouvé » (par qui, par quoi ?) que le cerveau enregistre mieux (plus vite et plus durablement) des éléments qui provoquent de l’émotion. Soit ! Or, le plaisir, la joie, sont des émotions comme les autres. De là à dire qu’il faut s’amuser en apprenant il n’y a qu’un pas que bien des pédagogues ont franchis en se réfugiant derrière les neurosciences.

Premier malentendu : il est des populations qui n’éprouvent aucun plaisir à jouer quand ce n’est pas l’heure. Et c’est l’effet inverse qui est atteint : le repli sur soi, l’agacement, le blocage.

Sur un plan méthodologique, lorsqu’on à affaire à une population qui peut être récalcitrante, on ne place surtout pas ces « divertissements » en amont de la formation, mais en aval des synthèses… si tant est qu’on veuille absolument « mettre » du Game.

Second malentendu : En plus de l’empathie nécessaire pour connaitre le niveau de l’acceptation, il est nécessaire de déployer une certaine « intelligence des situations » pour savoir où le placement de cette séquence est optimale et ne provoquera que peu d’effet pervers.

Une mode qui pollue les juniors et les seniors pour des raisons différentes 

Vous allez entendre dire que les nouvelles générations sont favorables à ces techniques. Ce qui, déjà semble vouloir dire que les seniors ne le sont pas … Je peux facilement comprendre que deux positions chez ces derniers peuvent se chevaucher. Ces positions sont souvent liées aux motivations de l’apprentissage. Je suis très motivé pour acquérir une technique, un savoir, une compétence ? Je n’ai ni envie d’être l’objet drolatique que l’on observe et je veux entrer dans le vif du sujet de suite et ne pas « perdre » de temps. Ou bien j’ai été envoyé dans cette formation par ma hiérarchie sans concertation préalable, ou encore je me suis inscrit pour échapper à la réalité quotidienne ou assez souvent je n’ai pas d’idée préconçue (on verra bien) alors je ne m’oppose pas à un peu de rire ou de « déconne ». Au moins ça passe le temps…

Pour les jeunes, je crois très vraisemblablement que le problème est plus grave… on ne conçoit plus le travail ou la formation QUE comme un jeu ou un lieu de plaisir. Loin de moi une posture janséniste ou masochiste par laquelle il faudrait souffrir pour bien apprendre. Souffrir pour être beau, souffrir pour enfanter, souffrir pour être vertueux sont des valeurs bidons véhiculées la plupart du temps par des déviances religieuses…voire par des lectures erronées du stoïcisme. En revanche, le travail c’est sérieux. On me paie pour ça. Et les conséquences d’erreurs, de fautes, de manque de vigilance peuvent être dramatiques pour moi mais surtout pour les autres…

Premier malentendu de cette deuxième période :

La vie est un jeu. Il m’est arrivé de constater que des professionnels adultes, mais surtout des jeunes impétrants, formés sur des simulateurs à réalité virtuelle, à des actions nécessitant une sécurité absolue (danger d’accident mortel) n’étaient pas forcément dans l’attention souhaitée. En cherchant plus loin, le rapport au « jeu vidéo) est assez vite décelé et on aboutit à des postures de type « pas grave, il me reste des vies… »

Second malentendu de cette deuxième période

Les apports des neurosciences sont incontestablement de premier ordre dans l’évolution des techniques pédagogiques. D’autre part se former pour retenir ou se former pour savoir où trouver l’information sont des critères parfois opposables mais très souvent complémentaires. Comment définir des cursus de formation qui ne prennent pas en compte les deux axes me semble risqué. Alors ?

 

Le problème n’est pas nouveau. J’ai animé ou participé à des sessions (en particulier de team building) où la gamification était présente, voire représentait le socle même du dispositif. Mais ça collait à la raison d’être du stage. Aujourd’hui c’est devenu un préalable. Comme souvent, à partir du moment où on découvre un nouveau paradigme, on s’y engouffre et … on exagère. Oui, il convient de rendre l’apprentissage attractif, mais pas forcément amusant systématiquement. Il est possible d’attirer l’attention d’un public en donnant simplement du sens à la formation (ce qu’on a parfois oublié). Ce peut être un premier point de départ. Essayons de nous mettre dans la peau d’un « apprenant » qui passe son temps à faire des galipettes par terre, à participer à des simulations à forte concentration de « rires », à regarder des collègues se mettre en difficulté, ne croyez vous pas que replacer ces moments dans des situations concrètes de la vraie vie risque d’être fort ennuyeux ? On aurait tendance à penser qu’en échappant à la tristesse des enseignements anciens, on allait forcément décupler nos ressources d’apprentissage. C’était trop beau pour être vrai. A force de tout vouloir « disrupter » on reprend le vieux mythe du Guépard… « il faut que tout change pour que rien ne change ». Alors sachons « raison garder » et n’en faisons pas de trop !

Le jeu peut tuer le plaisir de .... travailler et en prenant le dessus, le "jeu" devient vite "je" comme un enfant jamais satisfait !

 

 

 

 

 

 

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