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Article publié par News Tank :

Les enjeux de l’apprentissage machine vus par C. de la Higuera (Nantes) et J-G Ganascia (UPMC)

 

Paris - Publié le lundi 13 novembre 2017 à 13 h 28 - Interview n° 106115

« L’apprentissage machine est la capacité de la machine à apprendre des règles en utilisant les données. Elle va sans cesse améliorer son comportement par l’apprentissage », indique Colin de la Higuera, chercheur sur ces questions au LINA(Université de Nantes), à propos du thème choisi comme fil rouge de la 12e édition des JRES qui se tiennent du 14 au 17/11/2017 à Nantes. Cette mise en lumière est due pour Jean-Gabriel Ganascia, professeur à l’UPMC et président du comité d'éthique du CNRS, à « la numérisation croissante de la société et à la renaissance de l’intelligence artificielle qui en découle ». 

Quatre conférences plénières auront lieu au cours des JRES, avec la participation de Colin de la Higuera, Pascal Picq (Collège de France) Jean-Gabriel Ganascia et Éric Léandri, PDG de Qwant. 

Dans sa présentation, Colin de la Higuera entend « préciser les fondements de cette technologie et questionner la notion d’intelligence, qui ne fait que bouger avec les avancées technologiques ». Exemple avec AlphaGo 0, intelligence artificielle pour jouer au jeu de Go qui a battu sa précédente version, Alpha Go, 100 points à 0 le 19/10/2017, sans intervention humaine.

Jean-Gabriel Ganascia présentera quant à lui la conférence « Le mythe de la singularité » pendant les JRES. « Il s’agit de déconstruire les projections imaginaires sur la toute-puissance des machines », déclare-t-il. Et d’insister sur le fait que « la peur à propos des capacités des machines ne doit pas masquer un autre danger, celui de la montée en puissance des géants du numérique qui ont désormais un agenda politique ». 

Les deux chercheurs présentent à News Tank les éléments de leurs conférences respectives.

 https://gecored.newstank.fr/IMAGEMANAGER/image/6315b0b3455252050a49d4e7fc1e18e3/220/220/small_g-ganascia-higuera.jpg© D.R

Comment expliquer l’intérêt actuel pour le thème de l’apprentissage machine et des intelligences artificielles ?

Colin de la Higuera  : L’apprentissage machine a une place centrale dans les débats sur le numérique. C’est passionnant de suivre l'évolution rapide des technologies, des possibilités offertes par les intelligences artificielles. Même si certaines applications sont encore lointaines, des questions stratégiques se posent quant aux mutations à venir dans les organisations, notamment sur les métiers.

Intelligence artificielle : un rapport de Cédric Villani attendu et un programme de recherche à venir

• Le 08/09/2017, Edouard Philippe, Premier ministre, a chargé Cédric Villani, député de l’Essonne et lauréat de la médaille Fields, d'élaborer une stratégie nationale dans le domaine de l’intelligence artificielle. 

• France Stratégie a par ailleurs été chargée d’une mission afin d'« analyser les impacts de l’IA sur les transformations du marché du travail et établir des scénarios prospectifs », le 16/10/2017.

• Frédérique Vidal, ministre de l’Esri, a pour sa part annoncé le lancement d’un programme de recherche en 2018, lors de son audition par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, le 07/11/2017. Ce programme recherche « va être lancé a minima avec l’Allemagne et probablement d’autres pays européens pour qu’on le porte ensuite au niveau du FP9, il va avoir pour mission de nous donner un coup d’avance », déclarait Frédérique Vidal.

Quels enseignements sont à tirer des dernières avancées de l’intelligence artificielle ?

https://gecored.newstank.fr/IMAGEMANAGER/image/8164a5294432f55403cdeb4749c8a818/298/224/small_colin-higuera.jpgColin de la Higuera

Colin de la Higuera : La méthode d’apprentissage est particulièrement frappante. Nous n’avons pas tous les éléments précis pour comprendre la manière dont la machine acquiert la connaissance. Mais dans le cas d’AlphaGo 0, elle met trois jours à comprendre le jeu de Go et battre une autre IA, meilleure que l’homme. Cela signifie que la transmission de l’expérience, propre à l’apprentissage humain, n’a pas de valeur ici. Elle joue contre elle-même et s’améliore, sans maître.

L'open data ou l'open science ont une résonance conséquente pour l'apprentissage machineEn termes de recherche scientifique, cela peut signifier d’importantes évolutions. Plutôt que de partir d’observations, formuler une hypothèse et la vérifier, la recherche pourra consister à analyser des données brutes et les traiter par l’apprentissage machine. Il s’agit d’interpréter les signaux faibles pour trouver un signal fort et le maximiser.

L'open data ou l'open science ont donc une résonance conséquente pour l’apprentissage machine.

Les machines ont-elles une limite dans leur capacité d’apprentissage ?

Colin de la Higuera : Non, je ne pense pas. Je ne vois pas de limites mathématiques à l’IA. L’homme n’est pas une citadelle imprenable : en médecine « l'œil de la machine » analyse ce que l'œil humain ne voit pas, les taux d’erreurs sur les diagnostics sont inférieurs aux humains.

Pour autant, je reste en questionnement face à l'évolution des capacités des machines. Ce qui compte, c’est de suivre les capacités d’apprentissage, car la méthodologie peut être déployée dans bien d’autres secteurs.

Jean-Gabriel Ganascia  : Je pense au contraire qu’il y a des limites à l’apprentissage machine : cela tient à ce que lorsqu’elle apprend, la machine demeure cantonnée à un langage, c’est-à-dire à un paradigme qui lui est donné, sans être en mesure de le changer d’elle-même, comme nous le faisons parfois.

La demande sociale dépasse parfois les possibilités techniquesLe terme « intelligence artificielle » désigne d’abord une discipline scientifique, mais, dans son usage commun, il comporte un malentendu, puisqu’il sous-entend aussi l’idée d’entités dotées d’intelligence, alors que, dans son acception initiale, il vise simplement à simuler des fonctions cognitives sur des ordinateurs.

Pour l’intelligence artificielle, la machine est un modèle qui nous aide à comprendre l’intelligence, mais elle n’est pas vraiment « intelligente ». Pour comprendre ce malentendu, il faut dire que la demande sociale dépasse parfois les possibilités techniques : quand j’ai commencé à travailler la question dans les années 1980, la littérature et le grand public se sont emparés de ces questions, en préfigurant des changements sociétaux sans précédent. Dans nos laboratoires, nous savions que cela ne tenait pas d’un point de vue technique.

D’où une déception ensuite pour le grand public de voir la limite des capacités des systèmes experts. Aujourd’hui, la renaissance de l’intérêt pour l’intelligence artificielle vient des géants de l’industrie du web, ce qui donne lieu à des projections souvent irréalistes, voire absurdes : ainsi, quand Elon Musk souhaite relier le cerveau à un disque dur pour favoriser de nouveaux apprentissages, nous sommes dans l’imaginaire.

Ce discours emprunté à l’imaginaire aurait une autre fonction pour vous, Jean-Gabriel Ganascia : rendre complexe la compréhension des enjeux politiques liés à la numérisation de notre société…

https://gecored.newstank.fr/IMAGEMANAGER/image/fd95000c759107fed7dbc184edf34e84/298/448/small_jean-gabriel-ganascia.jpgJean-Gabriel Ganascia

 Jean-Gabriel Ganascia  : Tout à fait. Il ne faut pas perdre de vue que les géants nord-américains du Net ont réalisé les plus grosses valorisations boursières au monde jamais observées. Ce pouvoir économique est transfrontalier, il a désormais une dimension politique, car ces acteurs souhaitent assumer un certain nombre d’attributs de la souveraineté à la place des États.

C'est l'ignorance qui pousse les décideurs à céder aux sirènes de la gratuitéÇa leur est d’autant plus facile que les classes politiques actuelles n’ont généralement aucune compréhension des enjeux du numérique, ce fait qu’elles délèguent avec une candeur inouïe des pouvoirs considérables à des tiers.

Ainsi, en France, nous avons vu l’an dernier la ministre de l'éducation signer un accord avec Microsoft pour former les élèves à la programmation et utiliser les logiciels propriétaires de cette société au moment même où la loi sur la république numérique invitait à utiliser des logiciels libres.

C’est l’ignorance qui pousse les décideurs à céder aux sirènes de la gratuité alors qu’elles ont la possibilité de s’emparer du sujet et construire des modèles pérennes.

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