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Lorsque un simple billet de blog approche les 10 000 vues sur LinkedIn et twitter, on est en droit de se demander en quoi le sujet mobilise autant de monde : je vous rappelle le thème, un certain scepticisme sur la notion de prescriptif en matière de recrutement. Quelques passes d’armes avec David Bernard d’Assessfirst qui se solderont par un débat public contradictoire fin mai, et puis des messages privés en pagaille de DRH qui ne souhaitent pas s’afficher mais qui ont plutôt tendance à se montrer sceptiques eux aussi.  L’un d’entre eux, à visage découvert, demande une suite à ce billet. Je vais donc m’y atteler.  

D’abord il est nécessaire, je crois de remettre l’acte de recrutement sur la table pour tenter de comprendre comment il a évolué :

Jusqu’aux années 90, la recherche de candidats était simple : l’entreprise avait les cartes en main. Elle lançait une recherche en fonction d’une définition (ou description) de fonction. Le cahier des charges apparaissait dans une annonce, ou sur l’annexe du contrat du « chasseur ». Et les candidats candidataient… Peu souvent, il est vrai, ils se renseignaient sur l’entreprise. Lorsqu’ils recevaient une réponse positive, ils étaient « convoqués » à rencontrer un recruteur qui allait tenter de décrypter le parcours à l’aide de questions, la plupart du temps, aussi inutiles que superflues. Parfois, ils passaient des inventaires de personnalité comme le PAPI, des tests d’aptitudes aussi, et il leur était souvent demandé une lettre manuscrite pour analyse graphologique. L’ensemble donnait lieu à une synthèse sur deux ou trois profils entre lesquels l’opérationnel de service devait, après l’entretien technique idoine, se devait de choisir. Puis sont venus les « mises en situation », et au fur et à mesure de l’évolution technologique les « candidathèques », et les applications de mesure comportementale ou de personnalité. Je pense à cet instant au test dit des préférences cérébrales, longtemps à la mode, dont je me demande aujourd’hui que l’on sait que cerveau droit et cerveau gauche sont une vue de l’esprit, comment il a assuré sa reconversion. Mais ce petit point d’histoire ne serait pas complet si on ne remettait pas dans le contexte. Après les crises pétrolières, avec un chômage au plus haut, les candidats étaient plutôt stables. Ils étaient heureux de trouver un job, et cherchaient avant tout à faire « bonne impression ». Il n’empêche que les résultats d’après une enquête d’alors étaient surprenants la « prédictivité » d’un entretien ne dépasserait pas les 35%... avec tests techniques 40%, plus inventaire de personnalité 45% et avec des mises en situation : 55%. Donc encore 45% de chance de se planter ! Il ne me semble pas avoir lu que le Turn Over des nouveaux entrants était de 45%... Alors quoi ? Avec des moyens peu académiques, des outils peu fiables, et même des pseudo-sciences, les adéquations entre profil recruté et stratégie mais aussi relation managériale n’étaient pas si mauvaises que ça.

Sur mes « rapports » je terminais systématiquement par une page de conseil au futur N+1 pour optimiser ses relations avec le nouvel embauché. Parallèlement, j’ai fait partie de ceux qui ont mis à l’index de la profession les techniques para-psy (numérologie, astrologie, mais aussi graphologie qui n’ont jamais voulu se prêter aux études de validation scientifiques), Les candidathéques ont été remplacées par les réseaux sociaux . Mais on est dans du déclaratif. J'aimerais connaître le niveau de galéjades dans les profils. On se présente en fonction de ses "amis" pas la réalité de sa personnalité. Même les « recos » sont très souvent bidons. J’ai reçu pour ma part des éloges de gens que je n’ai jamais ni sollicités ni même rencontrés !!! Le reste est du déclaratif…tout comme les « inventaires » maintenant numérisés. Ils ne donnent comme profil de personnalité que celle dont j’i envie qu’elle apparaisse. Souvenez vous des mines béates d’admiration des candidats lisant leur analyse grapho et qui se reconnaissait : « mais comment avez-vous fait ? » Et lorsqu’un MBTI ou un PAPI ou un PSV surprend encore, on a envie de dire « mais c’est normal, bêta, c’est toi qui a répondu aux questions… »

Donc une pré identification sur des bases surfaites, des « inventaires » descriptifs, et des comparaisons (ça c’est nouveau) avec des profils qui fonctionnent bien dans l’entreprise. Et ça, ça s’appelle du « copier-coller » … mais il y a quelques années, n’avez-vous jamais entendu « je veux le même », « comme l’ancien titulaire avant qu’il ne parte, il était parfait ! ».

L’entreprise est-elle dupe ? non bien entendu. Face à une science inexacte, le « client » a besoin de se rassurer. Le Directeur des ressources humaines d’une grande société d’armement, centralien, me disait un jour face à mon étonnement de le voir faire appel à une numérologue « je sais je suis ingénieur et donc un peu cartésien, mais lorsque j’ai deux candidats de valeur égale, j’ai besoin d’éléments pour les départager. Je ne vais pas le faire sur la couleur de leurs cravates… » C’eut été aussi fiable, pourtant.

Les candidats eux-mêmes sont dans la boucle. Sachant qu’ils sont passés dans cette « machine à détecter les bons » ils voudront correspondre à l’image… Une nouvelle méthode Coué ? Il suffit

qu'oedipe sache par la Pythie qu'il allait tuer son père et épouser sa mère pour qu'il s'y conforme.

Je ne vais pas revenir sur la logique statistique : pour prendre en compte les âges, sexes, CSP, formation, diplômes, culture, et maintenant soft skills, il faudrait que ces méthodes soient validées par un échantillon d’au moins 10 000 sujets. Quelle est l’entreprise créatrice d’applications en mesure de prouver ce type d’échantillonnage ? Alors à mon humble avis, on leurre encore les gens. Il n’y a pas de prédictivité. Pas plus qu’avant. Tout au plus un scorring que l’entreprise va prendre comme seuil d’accès à ses postes. Contrairement à ce que pensent bien des psys l’individu n’est pas prévisible. Certains comportements, si ! En fonction de ses représentations mentales, de ses émotions, donc en fonction de l’évolution de son environnement…  Mais j’ai peur que l’algorithme qui intégrera cette donnée ne soit pas encore né.

Oui on peut fiabiliser le recrutement en réalisant son métier de recruteur sérieusement, avec éthique et surtout en « blindant » l’amont. Aller voir sur place la réalité des postes, discuter avec le N+1 mais aussi le N+2 et pourquoi pas avec des collègues. Valider l’avenir du poste, du métier, les transformations attendues, en posant les bonnes questions après avoir donné toutes les armes au candidat (jouer la transparence totale, ne rien masquer) et surtout en se disant que la part d’incertitude fait partie des règles du jeu et que parfois cela peut être une source de créativité inattendue et réelle valeur ajoutée.

Maintenant si le « client » a besoin de se rassurer, pourquoi pas. Mais ne tombons pas dans la recherche de modernité à tout prix, ce n’est pas l’outil qui fait la relation. Et si éventuellement les résultats sont appréciables, n’est-ce pas le comportement dans la relation qui a changé (incité par l'outil) et qui, lui, fait toute la différence.

 

 

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